Turquie: Amnesty International critique le harcèlement judiciaire dont est victime une association LGBT
Amnesty International a adressé un courrier au gouvernement turc pour exprimer son opposition à l’action civile intentée par le procureur général d’Izmir en vue d’obtenir la dissolution de l’association lesbienne, gay, bisexuelle et transgenre (LGBT) Black Pink Triangle.
La première audience aura lieu le 9 février au tribunal civil de première instance (n°6) d’Izmir. Amnesty International enverra un observateur à cette audience.
L’association basée à Izmir risque la dissolution, suite à une plainte du bureau du gouverneur d’Izmir (qui dépend du ministère de l’Intérieur) pour qui les objectifs poursuivis par l’association sont contraires aux « valeurs morales et à la structure familiale turques ».
Cette affaire est la dernière en date d’une série de tentatives du ministère de l’Intérieur pour obtenir la dissolution d’associations LGBT au moyen de décisions de justice pour des motifs similaires. Des poursuites avaient été engagées contre l’association KAOS-GL et Pembe Hayat (Vie en rose) en 2006. À l’issue d’une longue bataille judiciaire, Lamba Istanbul a obtenu en avril 2009 le maintien de son association – un tribunal local a confirmé la décision de la Cour suprême d’appel de casser l’interdiction de l’association.
Comme dans les affaires précédentes, Amnesty International s’oppose à la dissolution de Black Pink Triangle, réclamée dans le cadre d’une politique de harcèlement judiciaire visant les associations défendant les droits des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres. La dissolution de Black Pink Triangle pour de tels motifs violerait le droit à la liberté d’association, d’expression et de non-discrimination et serait contraire aux obligations de la Turquie au titre de la Convention européenne des droits de l’homme.
Dans son avis de notification de poursuites devant la justice civile, le procureur général d’Izmir cite également la non-présentation de documents par Black Pink Triangle dans le délai requis de trente jours pour justifier la dissolution de l’association. Amnesty International a fait part de sa préoccupation au gouvernement turc, soulignant que la dissolution de l’association pour un tel motif constituerait une restriction illégale et discriminatoire du droit à la liberté d’expression.
Complément d’information
L’association Black Pink Triangle a été fondée en février 2009 et est devenue la première association lesbienne, gay, bisexuelle et transgenre d’Izmir. L’association a pour but de combattre la discrimination contre les personnes LGBT en s’appuyant sur la loi, de mobiliser l’opinion publique contre les crimes haineux et de créer un forum dans lequel les LGBT se sentent en sécurité pour partager leurs expériences.
Après la création de Black Pink Triangle, le gouverneur d’Izmir a demandé que soit modifié l’article 2 (trop long – 939 mots – pour être cité ici en entier)des statuts de l’association et que les documents lui soient retournés complétés et signés par tous les membres fondateurs de l’association dans un délai de 30 jours . Black Pink Triangle a déclaré à Amnesty International avoir soumis à nouveau l’ensemble des documents avec les signatures demandées mais en refusant de modifier ses statuts, considérant que cette demande violait la liberté d’association de ses membres.
Après cet échange de courriers, une plainte a été déposée le 25 mai 2009 par le bureau du gouverneur d’Izmir, selon laquelle les objectifs de l’association bafouent une disposition du Code civil rendant obligatoire l’adhésion aux « valeurs morales et à la structure familiale turques » (article 56 de la Loi n°4721).
La plainte – si elle était maintenue et aboutissait à la dissolution de Black Pink Triangle – violerait le droit à la liberté d’association, d’expression et de non-discrimination. Il semble également qu’elle ne puisse être retenue en droit turc. La Cour suprême d’appel a jugé dans l’affaire Lambda Istanbul qu’il n’existait aucun motif légal pour dissoudre une association selon des critères de moralité, affirmant : « il n’existe aucune clause dans notre droit interdisant aux lesbiennes, gays, personnes bisexuelles, travesties et transgenres de se rassembler pour former une association ayant pour objectif la solidarité. En conséquence, on ne peut dire que les objectifs de ces associations soient illégaux ou immoraux » (décision du 29 mai 2008, n° 2007/190-2008/236)
La fréquence à laquelle se répètent les demandes de dissolution d’organisations LGBT souligne la nécessité impérieuse de prendre des mesures pour empêcher ces violations répétées du droit à la liberté d’association et d’expression et l’interdiction de toute discrimination.
Amnesty International demande instamment au gouvernement turc de prendre des mesures pour que soit respecté le droit de tous à la liberté d’association, sans discrimination d’aucune sorte et de veiller à ce que le principe de moralité publique ne soit pas utilisé pour restreindre l’exercice du droit d’association pacifique pour la seule et unique raison qu’une association défend des orientations sexuelles ou identités de genre différentes. Amnesty International recommande également au ministre de la Justice de rappeler aux gouverneurs des provinces et à leurs directions l’obligation qui est la leur de respecter et protéger le droit de toutes les personnes à la liberté d’association, sans discrimination d’aucune sorte, y compris pour des motifs d’orientation sexuelle et d’identité de genre, et de prendre des mesures pour éliminer toutes les formes de discrimination fondées sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre des personnes.
Amnesty International demande également au ministre de la Justice de prendre des mesures pour faire en sorte que le Code civil (Loi n° 4721) et la Loi sur les associations (n°5353) sur lesquels les poursuites civiles s’appuient soient appliqués d’une manière qui soit conforme aux normes internationales en matière de liberté d’association, d’expression et de non-discrimination. De telles mesures pourraient inclure des directives complémentaires pour aider les juges et les magistrats à appliquer ces lois.
Amnesty International demande également aux autorités de prendre des mesures immédiates en vue d’une révision de la politique gouvernementale en matière de restrictions au droit à la liberté d’association pacifique et d’expression en raison de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre des personnes.
L’organisation demande également instamment au gouvernement de soutenir l’adoption d’une loi non discriminatoire et exhaustive prévoyant notamment une protection spécifique contre les traitements inéquitables motivés par l’orientation sexuelle ou l’identité de genre dans tous les domaines de l’existence Ce faisant, la Turquie se mettrait en conformité avec la Convention européenne des droits de l’homme.
lundi 8 février 2010
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