mardi 20 février 2018

Indonésie. La police ne doit pas agresser mais protéger les femmes transgenres exposées aux menaces en Aceh

AMNESTY INTERNATIONAL INDONÉSIE
COMMUNIQUÉ DE PRESSE
AILRC-FR
14 février 2018
Indonésie. La police ne doit pas agresser mais protéger les femmes transgenres exposées aux menaces en Aceh

Les autorités indonésiennes manquent totalement à leur devoir de protection envers les femmes transgenres, maltraitées et humiliées par la police dans l'Aceh-Nord le 27 janvier. Certaines ont déjà été contraintes de partir se cacher car elles craignent pour leur sécurité, a déclaré Amnesty International Indonésie le 14 février 2018.

Amnesty International Indonésie s’est entretenue avec certaines victimes dans un lieu tenu secret, près de l'Aceh, où elles ont dû se réfugier après avoir perdu leur emploi. En outre, elles ont été la cible de violences verbales et physiques de la part de leurs proches et de la population.

Elles ont raconté ce qu'elles ont subi le 27 janvier, lorsque la police a effectué des descentes dans les salons de beauté où elles travaillent, les a publiquement humiliées, leur a donné des coups de pied, les a giflées, et leur a coupé les cheveux pour « débarrasser l'Aceh de tous les transgenres ».

« Ces femmes transgenres ont été arrêtées et soumises à des mauvais traitements par la police uniquement en raison de qui elles sont, et certaines continuent d’en subir les conséquences car elles ont perdu leur moyen de subsistance et ont dû fuir leur foyer. C'est un échec total des autorités indonésiennes s'agissant de protéger leurs droits humains, a déclaré Usman Hamid, directeur d'Amnesty International Indonésie.

« Les autorités locales et de simples citoyens, au nom de la charia (loi islamique), ont agi de connivence pour agresser et humilier ces femmes transgenres. Nous estimons que les actes de la police s'apparentent à de la torture au titre du droit international. Les responsables présumés de ces agissements doivent faire l'objet d'enquêtes et rendre des comptes, y compris les membres de la police de l'Aceh-Nord qui ont effectué les descentes au nom de la " guerre contre les transgenres ".

« Le président Joko Widodo doit s’adresser à la police nationale pour qu’elle ordonne à la police de l'Aceh-Nord de cesser d'agresser les transgenres et de les protéger, si elles sont la cible de menaces et d'intimidations de la part de la population locale. Elle doit aussi agir sans attendre, en coopération avec d'autres autorités, afin de garantir que les 12 victimes bénéficient immédiatement de la protection dont elles ont besoin et puissent rentrer chez elles en toute sécurité et retrouver leur emploi. »

Vivre dans la peur

Profondément traumatisées par les descentes, les victimes ont accepté de s’entretenir avec Amnesty International à condition de garder l'anonymat. Certaines sont aujourd'hui en fuite, à la recherche d'un endroit plus sûr dans une autre région du pays, car elles vivent dans la peur que la police vienne les arrêter à tout moment.

Depuis le 27 janvier, certaines sont la cible d’actes d’intimidation de voisins, voire de membres de leur famille. L'une d’elles a reçu des coups de pied et on lui a jeté une pierre dessus plusieurs jours après les raids. En outre, elles ne peuvent plus faire vivre leurs familles puisqu'elles ont perdu leur emploi.

Parmi celles qui sont restées en Aceh, certaines n'ont eu d'autre choix que d'accepter de « se comporter comme des hommes », comme l'exigeait la police, mais elles ont du mal à trouver un emploi, car les embaucher fait peur.

Humiliées pendant des heures

Les femmes transgenres ont raconté à Amnesty International ce qu’elles ont subi le 27 janvier, lorsque la police leur a infligé des « punitions » qui constituent un traitement cruel, inhumain ou dégradant, voire de la torture, au titre du droit international. Lors des descentes effectuées dans cinq salons de beauté dans l'Aceh-Nord, la police de ce district les a arrêtées, dans le cadre de son « programme visant à nettoyer l'Aceh des femmes transgenres ». Cette « guerre » serait soutenue par des habitants et des religieux locaux.

Durant les raids, le chef de la police de l'Aceh-Nord a prononcé un discours condamnant les femmes transgenres. Les personnes présentes ont applaudi ses propos et crié : « Chassez-les [de l'Aceh]. Brûlez-les. Tuez-[les]. » La police a même menotté l'une des victimes.

Après les raids, le chef de la police de l'Aceh-Nord a conduit les 12 victimes dans son bureau le 27 janvier à 23 heures. Les policiers leur ont ensuite ordonné de marcher d'une manière humiliante jusqu'à un parc non loin de là. Ils leur criaient dessus tout en leur donnant des instructions.

Devant de nombreuses personnes rassemblées pour assister à cette humiliation dans le parc, les policiers ont forcé les 12 transgenres à parodier une formation militaire – semble-t-il pour les rendre « plus masculins » – et leur ont ordonné de se rouler par terre dans le parc. Lorsque l'une d’entre elles a refusé d’obtempérer, le chef de la police de l'Aceh-Nord a effectué un tir de sommation pour leur faire peur à toutes. Un policier a ensuite lancé de l'eau au visage de l'une d’entre elles parce qu’elle protestait contre ce traitement inhumain.

La police les a contraintes à ôter leurs vêtements, les laissant en pantalons. L'une d'entre elles a refusé et déclaré : « Abattez-moi. C’est une question de dignité. » Le chef de la police a rétorqué : « Toi, une transgenre, tu n'as pas droit à la dignité. » Un policier a plus tard coupé de force les cheveux de six des victimes pour « les rendre masculins ». Elles ont par la suite reçu l'ordre d'uriner dans une bouteille pour un test de stupéfiants, devant de nombreuses personnes présentes dans le parc, mais ont refusé.

La police a ordonné à l'une des 12 victimes de laver les corps et les cheveux des autres à l'aide d'un tuyau d'arrosage. Le chef de la police de l'Aceh-Nord lui a alors donné des coups de pied parce qu’elle ne les avait pas lavées correctement. Il a ensuite ordonné aux 12 victimes de crier « comme un homme » et a giflé l'une d’entre elles au visage avec une sandale, parce qu'elle n’y parvenait pas. Un autre policier l’a plus tard giflée avec une sandale sur les oreilles et la bouche, lui ouvrant les lèvres.

Après les avoir humiliées pendant deux heures, la police leur a dit de s'asseoir par terre et les a emmenées jusqu'aux cellules de détention à 1 heure du matin. Elles ont été contraintes de dormir sur le sol froid, dans leurs pantalons mouillés, sans matelas.

La police a relâché 11 transgenres dans l'après-midi du 28 janvier, après les avoir contraintes à assister au sermon religieux d'un dignitaire musulman qui leur a enjoint de revenir à leur « nature », affirmant qu'il était « acceptable de tuer des transgenres ou d'autres personnes LGBTI, parce qu'ils sont plus diaboliques que les kafirs [infidèles] ». Il a ajouté que « le tsunami a frappé l'Aceh [en 2004] à cause [des pêchés] des personnes transgenres » et que si elles ne changeaient pas, personne ne se soucierait d'elles ni ne prierait pour elles à leur mort.

L'une des femmes transgenres a été maintenue en garde à vue jusqu'au 29 janvier, car la police a trouvé dans son téléphone portable une vidéo sexuellement explicite. Avant de les relâcher, la police a ordonné aux 12 victimes de signer un document, sans les autoriser à lire ce qui était écrit sur ce papier. En fait, elles acceptaient de ne plus agir « comme des femmes » à l'avenir et de ne pas se plaindre des comportements abusifs des policiers.

Réponse de l'État

Les descentes ont été effectuées dans un climat d'hostilité croissante envers les LGBTI (lesbiennes, gays et personnes bisexuelles, transgenres et intersexuées) dans la province de l’Aceh. Au lieu d'offrir son soutien aux victimes, le gouverneur de l'Aceh Irwandi Yusuf a publiquement déclaré qu'il avait donné son aval à l'opération de police ciblant les femmes transgenres. Lors d'un rassemblement hostile aux LGBTI le 2 février, le gouverneur a assuré : « Nous ne haïssons pas les personnes lesbiennes, gays et bisexuelles [en tant que personnes], mais nous haïssons leur comportement. »

Bien que le chef de la police de l'Aceh-Nord fasse actuellement l'objet d'une enquête interne menée par la police provinciale de l'Aceh sur les mauvais traitements présumés infligés aux femmes transgenres, le porte-parole de cette police provinciale a exprimé son soutien aux descentes lorsqu'il a rejoint le rassemblement anti-LGBT.

« Ces traitements et ces humiliations infligés aux transgenres bafouent clairement l'interdiction absolue de la torture et des mauvais traitements. Circonstances aggravantes, ils ont été infligés par la police locale et soutenus par des religieux, a déclaré Usman Hamid. Il est scandaleux que des policiers lourdement armés effectuent une descente et arrêtent des femmes transgenres pour un seul motif : la haine.

« Les douloureux récits de ces femmes doivent être un coup de semonce pour les autorités d’Indonésie et du monde entier. Les droits humains de tous les Indonésiens, quels que soient leur orientation sexuelle, leur identité de genre et leur expérience, doivent être respectés et protégés de manière égale devant la loi.

« Le président Joko Widodo doit publiquement condamner les propos du gouverneur et faire clairement savoir que de telles attitudes sont inacceptables. »

mardi 13 février 2018

Russie. La Cour suprême annule la décision d'expulsion d'Ali Ferouz

AMNESTY INTERNATIONAL
DÉCLARATION PUBLIQUE
AILRC-FR
25 janvier 2018
Index AI : EUR 46/7791/2018
Russie. La Cour suprême annule la décision d'expulsion d'Ali Ferouz

Le 24 janvier 2018, la Cour suprême de la Fédération de Russie a fait droit au recours introduit par le journaliste de Novaya Gazeta et militant d'Amnesty International Ali Ferouz, et annulé la décision, rendue contre lui en 2017 par une juridiction de premier degré, d'expulsion vers l'Ouzbékistan. La Cour a renvoyé l'affaire devant le tribunal municipal de Moscou.

Amnesty International se félicite de cette décision, mais continue de demander aux autorités russes de libérer immédiatement Ali Ferouz et de veiller à ce qu'il ne soit pas expulsé vers un pays où il risque réellement d'être torturé.

Dans sa décision, la Cour suprême a noté que la détention d'un ressortissant étranger dans l'attente de son expulsion de Russie « ne doit pas être considérée comme pouvant justifier son maintien en détention pour une durée indéterminée ». De plus, le collège de juges a recommandé que le tribunal municipal de Moscou, lors de son réexamen de l'affaire, tienne compte d'une lettre de l'ambassade d'Allemagne à Moscou confirmant que les autorités fédérales avaient accordé à Ali Ferouz un permis de séjour temporaire en Allemagne.

Ali Ferouz (dont le vrai nom est Khoudoberdi Nourmatov) a été arrêté à Moscou en août 2017. Les autorités lui reprochaient d'avoir violé les conditions de son permis de séjour sur le territoire de la Fédération de Russie. Le tribunal de l’arrondissement de Basmanni, à Moscou, l'a déclaré coupable et a décidé qu'il devait être renvoyé dans son pays. Le journaliste est depuis détenu au Centre de détention spécial pour les ressortissants étrangers à Moscou.

En 2009, Ali Ferouz a été contraint de fuir l'Ouzbékistan après avoir été arrêté et torturé par des agents du Service ouzbek de la sécurité nationale pour avoir refusé de collaborer secrètement avec eux. Ali Ferouz a demandé l'asile en Russie à plusieurs reprises, mais sa demande a à chaque fois été rejetée.

Amnesty International mène campagne depuis plusieurs mois pour qu'Ali Ferouz soit immédiatement remis en liberté.

jeudi 8 février 2018

Indonésie. La police doit cesser d’interpeller et de chercher à « rééduquer » les personnes transgenres

AMNESTY INTERNATIONAL
RÉACTION
AILRC-FR
29 janvier 2018
Indonésie. La police doit cesser d’interpeller et de chercher à « rééduquer » les personnes transgenres

En réaction aux opérations de la police indonésienne qui a arrêté 12 personnes transgenres dans le district de l'Aceh-Nord le 27 janvier, leur a coupé les cheveux de force pour « les rendre masculins » et a fermé les salons de beauté où ils travaillent, Usman Hamid, directeur d'Amnesty International Indonésie, a déclaré :

« Ces descentes effectuées dans des salons de beauté illustrent la manière dont les autorités s'en prennent arbitrairement aux transgenres, uniquement en raison de qui ils sont. Même s’ils ne commettent aucune infraction, l'Aceh devient une province de plus en plus hostile à l’égard des lesbiennes, des gays et des personnes bisexuelles, transgenres et intersexuées (LGBTI).

« Couper les cheveux des personnes arrêtées pour les " rendre masculins " et les contraindre à s'habiller comme des hommes, c’est une forme d'humiliation publique qui constitue un traitement cruel, inhumain et dégradant, et va à l’encontre des obligations internationales de l'Indonésie. Ces actes s'inscrivent dans la politique de harcèlement et de discrimination visant les LGBTI qui perdure dans la région ; les autorités doivent y mettre fin sans attendre. »

La police a relâché tous les transgenres le 28 janvier, sans les inculper. Le chef de la police locale a déclaré aux médias qu'il les a gardés pour un programme d’« éducation » destiné à en faire des hommes « normaux ».

« La soi-disant " rééducation " des transgenres par la police n'est pas seulement humiliante et inhumaine, elle est illégale et bafoue clairement les droits humains. Ces événements doivent faire l'objet d'enquêtes rapides et efficaces, a déclaré Usman Hamid.

« Dans la province de l’Aceh, ce ne sont pas seulement les transgenres qui subissent harcèlement, intimidation et agressions – tous les LGBTI sont exposés à de tels actes. Il faut mettre fin à ces agressions et traiter tous les habitants de l'Aceh de manière égale devant la loi. La police est là pour protéger tous les citoyens, pas pour les humilier ni violer leurs droits. »

Complément d’information
Le 27 janvier, dans le district de l'Aceh-Nord, la police a arrêté 12 transgenres et fermé cinq salons de beauté qui les emploient, des habitants du secteur s'étant plaints de leurs activités. La police leur a également coupé les cheveux et les a obligés à porter des vêtements d'hommes durant les descentes.

Quelques semaines auparavant, le 17 décembre 2017, des habitants et des organisations ont fait irruption dans un hôtel et remis six transgenres à des représentants de l’ordre public. Ils avaient appris qu'un concours de beauté transgenre avait lieu et, selon eux, un tel événement est contraire à la charia (loi islamique), en vigueur en Aceh.

En mai 2017, dans le cadre d'une autre violation de l'interdiction absolue de la torture et d'autres traitements cruels, inhumains et dégradants, deux hommes ont reçu 83 coups de canne chacun, en public, après avoir été déclarés coupables par le tribunal de la charia de Banda Aceh de relations sexuelles consenties entre personnes du même sexe (liwath), au titre du Code pénal islamique de l'Aceh. Bien que des règlements régissant l’application de la charia sont en vigueur en Aceh depuis l’adoption de la Loi spéciale relative à l’autonomie en 2001 et sont appliqués par des tribunaux islamiques, c'est la première fois que des homosexuels recevaient des coups de canne au titre de la charia dans cette province.

Des organisations de défense des droits des LGBTI font l’objet de poursuites dans d'autres régions du pays. Le 25 mai 2017, 141 hommes ont été arrêtés dans le district Nord de Djakarta après avoir participé à ce que la police a décrit comme une « partie fine homosexuelle ». Le lendemain, 126 d’entre eux ont été relâchés et 10 inculpés d'avoir fourni des « services pornographiques » en vertu de la Loi n° 44/2008 relative à la pornographie.

À l'exception de l'Aceh, les relations consenties entre personnes de même sexe ne constituent pas des infractions au Code pénal indonésien. Cependant, venant s’ajouter à un environnement déjà hostile envers les LGBTI en Indonésie, un projet d’amendement du Code pénal qui érigerait en infraction ce type de relations a été soumis par un groupe de législateurs de la Chambre des représentants.