Amnesty
International s’inquiète du fait que la loi récemment adoptée en
Moldavie pour lutter contre les discriminations ne permet pas de
protéger correctement les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles,
transgenres et intersexuées (LGBTI) contre les discriminations fondées
sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre, ni de mettre en place
un dispositif exhaustif permettant de faire reculer ces actes.
Lundi 28 mai 2012,
le président moldave a promulgué la nouvelle loi anti discrimination
(dite « loi pour garantir l’égalité ») adoptée trois jours auparavant
par le parlement.
Amnesty
International se félicite du fait que la nouvelle loi donne une
définition large de la discrimination en englobant à la fois les
discriminations directes et indirectes, qu’elle prévoie la création d’un
Conseil pour la prévention et la lutte contre les discriminations et
pour la garantie de l’égalité, un mécanisme important pour que les
victimes puissent obtenir réparation, et qu’elle instaure le principe du
partage de la charge de la preuve entre la victime et l’accusé.
En revanche,
l’organisation déplore profondément que le texte n’apporte pas une
protection complète contre les discriminations motivées par
l’orientation sexuelle et l’identité de genre. Si les discriminations
liées à d’autres motifs tels que la race, le groupe ethnique, la
religion ou les convictions et le handicap sont interdites d’une manière
générale et dans tous les domaines, les discriminations fondées sur
l’orientation sexuelle ne sont proscrites expressément que dans le
domaine de l’emploi (article 7-1) et celles liées à l’identité de genre
ne sont prohibées de façon explicite dans aucun domaine. Amnesty
International est également préoccupée par le fait que, d’après la loi,
l’interdiction de la discrimination ne peut aller à l’encontre de la
définition de la famille reposant sur l’union entre un homme et une
femme ; une telle restriction peut limiter considérablement la portée
effective de la législation.
Amnesty
International demande instamment aux autorités moldaves de modifier la
nouvelle loi pour la mettre en conformité avec les obligations
internationales de la Moldavie, et d’adopter un dispositif visant à
lutter de façon exhaustive contre la discrimination sous toutes ses
formes, en prévoyant notamment explicitement une protection contre les
traitements iniques motivés par l’orientation sexuelle ou l’identité de
genre dans tous les domaines de l’existence.
Complément d’information
L’an dernier, le
clivage dans le débat public sur le projet de loi anti discrimination
s’est accentué. Le texte, qui prévoyait au départ d’interdire dans tous
les domaines la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, avait
suscité une très forte opposition de la part de membres du parlement et
de représentants de l’Église orthodoxe. Aussi, le gouvernement a-t-il
modifié la loi en limitant le champ d’application de cette interdiction.
L’état de santé, la fortune et l’origine sociale figuraient
initialement parmi les motifs de discrimination interdits, avant d’être
également retirés du texte. L’identité de genre n’a jamais fait parti
des motifs de discrimination interdits, même dans les premières versions
du projet législatif.
Ces dernières années, Amnesty
International a rassemblé des informations sur les discriminations
fréquemment infligées par des acteurs publics et privés aux personnes
lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexuées (LGBTI) en
Moldavie. En mars 2012, les conseils locaux de la ville de Bălţi (nord
de la Moldavie) et des villages de Chetriş et Hiliuţi, dans les
districts de Făleşti et d’Anenii Noi (centre-est du pays), ont adopté
des mesures discriminatoires qui portent atteinte au droit à la liberté
d’expression et de réunion pacifique des personnes lesbiennes, gays et
bisexuelles. Le conseil municipal de Bălţi a interdit « la propagande
agressive d’orientations sexuelles non traditionnelles » ; des mesures
similaires ont été prises dans d’autres municipalités. Le 29 mars 2012,
les conseils locaux de Drochia (nord) et de Cahul (sud) ont adopté des
dispositions semblables à celles de Bălţi, d’Anenii Noi et de Făleşti.
Amnesty International a appelé les autorités locales à annuler ces
dispositions. Un village du district de Făleşti est revenu sur sa
décision à la suite de l’intervention du médiateur de Moldavie.
Amnesty International déplore le fait
que les autorités moldaves ont pour habitude de ne pas protéger, voire
d’interdire, les manifestations publiques des LGBTI. En mai 2008, la
mairie de Chișinău, la capitale, avait interdit une manifestation du
centre d’information GenderDoc-M, une association de défense des droits
des LGBT, au motif que des organisations religieuses, des élèves et des
habitants de la ville avaient réagi négativement à ce projet.
Certains représentants élus du
gouvernement et des membres de l’Église orthodoxe ont tenu publiquement
et à plusieurs reprises des propos homophobes. Par exemple, Marian Lupu,
porte-parole du parlement, a fait plusieurs déclarations homophobes au
cours d’une émission diffusée sur une chaîne de télévision nationale le
21 mai 2012. Amnesty International
insiste sur le fait que les représentants de l’État et les personnes
aspirant à des fonctions politiques devraient s’abstenir de relayer des
propos homophobes et transphobes pouvant contribuer à aggraver les
discriminations envers les LGBTI.
Le fait d’adopter une loi anti
discrimination n’offrant pas de protection contre les discriminations
motivées par l’orientation sexuelle et l’identité de genre ne répond pas
aux obligations incombant à la Moldavie au titre des traités
internationaux auxquels elle est partie. L’article 2 du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) impose aux
États de garantir le respect de tous les droits reconnus dans le
traité, sans distinction aucune. L’article 26 dispose que les États
doivent veiller à ce que chaque personne bénéficie d’une même protection
efficace contre toute forme de discrimination, quel qu’en soit le
motif. Le Comité des droits de l’homme a précisé que l’orientation
sexuelle devait être considérée comme faisant parti des motifs de
discrimination interdits prévus aux articles 2 et 26 du PIDCP (voir, par
exemple, Toonen c. Australie, communication 488/1992,et Young c. Australie, communication 941/2000). L’article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales
(Convention européenne des droits de l’homme) dispose que les droits
reconnus par cet instrument doivent être garantis sans distinction
aucune. De plus, l’exception liée à la définition de la famille prévue
par la nouvelle loi pourrait aggraver les discriminations fondées sur
l’orientation sexuelle concernant l’accès à certains biens et services
tels que la santé ou les prestations sociales. Par exemple, la Cour
européenne des droits de l’homme a déclaré que le refus d’étendre la
couverture d’une assurance-maladie au ou à la partenaire d’un(e)
assuré(e) homosexuel(le) constituait une violation du droit à la vie
privée et du droit à ne pas subir de discriminations (voir P.B. et J.S. c. Autriche).