lundi 10 février 2014

« J’ai peur que l’avenir ne soit un cauchemar »

AMNESTY INTERNATIONAL
PUBLICATION

« J’ai peur que l’avenir ne soit un cauchemar »

Par Lene Christensen, conseillère médias à Amnesty International Norvège

Dans un café de Sotchi, « Ivan », 17 ans, évoque tranquillement son expérience en tant que jeune homme ouvertement gay habitant la cité olympique. Une ville dans laquelle, d’après le maire, il n’y a pas d’homosexuels.

L’histoire d’Ivan est troublante. Lorsque son compte sur un réseau social a été piraté il y a environ un an, la nouvelle de son orientation sexuelle s’est rapidement répandue.

Lorsqu’il a changé de lycée, les informations sur sa sexualité se sont de nouveau diffusées comme une traînée de poudre parmi ses nouveaux camarades de classe. Aujourd’hui, aller au lycée veut dire se faire insulter et cracher dessus, nous explique-t-il. Il a été agressé à plusieurs reprises et des assaillants non identifiés l’ont aspergé d’eau sale et d’urine. Une fois, ils sont allés jusqu’à tenter de le violer. Sa voix se brise lorsqu’il raconte son calvaire quasi quotidien.

Son histoire fait froid dans le dos. Surtout lorsque l’on sait que pour Ivan, comme pour beaucoup de personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexuées (LGBTI) en Russie, il est inutile de chercher de l’aide et du soutien de la part des enseignants ou de déposer plainte auprès des services de police pour harcèlement et agressions violentes. Dans le cas d’Ivan, quand il a voulu porter plainte, l’administration scolaire lui a simplement conseillé de supprimer sa page sur les réseaux sociaux – comme si cela pouvait suffire à résoudre le problème. Ils ont aussi remis en cause sa certitude quant à son orientation sexuelle, plutôt que les comportements homophobes des autres élèves.

Même s’ils souhaitaient remettre en cause ces comportements, cela risquerait-il d’être interprété comme une violation de la loi qui interdit de faire « la propagande des relations sexuelles non traditionnelles » ? Peut-être…

Après l’adoption de cette loi en 2013, Ivan a constaté une hostilité croissante envers les homosexuels et sent qu’ils sont devenus une nouvelle cible de la haine.

Ivan s’inquiète de ce qui va se passer une fois la flamme olympique éteinte. « Je pense que les Jeux olympiques sont la seule chose qui les arrête pour l’instant… J’ai peur que l’avenir ne soit un cauchemar », confie-t-il.

La réaction violente que redoute Ivan au lendemain des Jeux olympiques n’est pas une inquiétude réservée à la communauté LGBTI. Le journaliste local Nicolas Yarst a également parlé à Amnesty International de possibles représailles contre ceux qui critiquent les autorités avant et pendant les Jeux.

« Lorsque les Jeux olympiques de Sotchi seront terminés, les choses risquent d’empirer, vraiment », a-t-il déclaré.

Nicolas sait de quoi il parle. Il raconte son histoire, qui illustre la manière dont les autorités russes répriment la liberté d’expression.

En mai 2013, il a écrit un article sur la corruption et l’injustice à Sotchi. Peu après, les autorités ont fait en sorte qu’il ne puisse plus faire son travail.

Il a été arrêté par la police qui l’a accusé d’avoir de la drogue dans sa voiture. Son dossier d’enquête pénale a fait l’aller-retour entre l’enquêteur de police et le bureau du procureur cinq fois, mais n’est jamais allé jusqu’au tribunal, les « preuves » recueillies étant trop minces. Les autorités tiennent malgré tout à le poursuivre en justice.

Dans l’intervalle, les conditions de sa libération sous caution l’empêchent de quitter Sotchi. En tant que journaliste, son travail est sérieusement compromis.

Les preuves réunies contre lui n’étant pas fiables, il est optimiste, tout en restant prudent, sur le fait que les charges contre lui vont être abandonnées. Mais il ignore quand. En attendant, il lutte pour nourrir sa famille. « Je suis assis dans mon appartement, sans savoir quoi faire. J’ai été tout simplement mis au rencart », explique-t-il.

Autre méthode efficace utilisée par les autorités russes, les actes d’intimidation dirigés contre les familles des détracteurs du gouvernement. L’épouse et la fille de Nicolas ont dû s’installer dans une autre ville, car il a peur qu’elles soient elles aussi prises pour cibles. Ses parents ont déjà reçu la visite d’agents de l’État, qui ont affirmé que leur fils était peut-être un pédophile, et Nicolas veut éviter tout nouvel incident impliquant ses proches. Aujourd’hui, il voit sa famille occasionnellement. Il pense en premier lieu à leur sécurité.

Piéger les journalistes et les militants de la société civile qui braquent les projecteurs sur la dure réalité de la vie quotidienne en Russie semble être une pratique bien répandue dans le pays.

Nicolas savait ce qui l’attendait lorsqu’il a décidé de devenir journaliste, explique-t-il. « Je ne suis pas brisé, je continuerai à travailler pour faire émerger des informations sur l’inégalité sociale. »

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